La pandémie aurait-elle eu des effets positifs inattendus dans nos modes de vie et de circulation en ville ? Avec quels bénéfices pour les mobilités des femmes ?
Notre étude sur l’usage des flottes de vélos partagés, Velib’ à Paris, a eu lieu en pleine pandémie COVID 19. Dans ce contexte, la Ville de Paris, comme beaucoup de villes de France et du Monde a développé drastiquement son réseau de pistes cyclables. Une réponse aux besoins des usager.es qui ont modifié leurs pratiques, préférant les mobilités douces aux transports en commun, et échappant ainsi à la promiscuité des wagons pleins et aux craintes de contamination.
Surnommées « pistes COVID », et provisoires dans un premier temps, le réseau s’est pérennisé et continue à s’étendre pour répondre aux demandes toujours plus nombreuses.
D’après les comptages permanents sur les pistes cyclables réalisés par la Ville de Paris, « le nombre de cyclistes en juillet 2020 a doublé par rapport à juillet 2019. »
Toujours selon les informations prodiguées sur le site de la Ville de Paris « D’autres aménagements cyclables, menés ces derniers mois, pourraient également faciliter la vie des cyclistes. Ainsi, des travaux ont été menés sur la rue Vaugirard (15e), la plus longue de la capitale, pour y installer une piste bidirectionnelle provisoire, de la rue de Rennes à la porte de Versailles. »
Selon Charles Dassonville, administrateur de la Fédération des usagers de la bicyclette « C’est très malin de tester ces aménagements en ce moment, car les villes sont quasi-entièrement vidées de leurs voitures. En temps normal, il est plus difficile de banaliser des voies de circulation. » Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la création de nouvelles pistes cyclables redistribue l’espace public, et permet donc à tous « de se déplacer en respectant la distanciation sociale ».
Et, pour rester dans le contexte parisien, les nouvelles pistes ne se sont pas limitées à Paris intramuros. De nombreuses pistes ont été développées dans les villes avoisinantes. Ces nouvelles infrastructures ont eu plusieurs effets positifs. D’une part elles ont effacé les frontières entre Paris et sa Métropole, et d’autre part elles ont ouvert de nouvelles opportunités de déplacement pour des publics souvent isolés ou à l’écart des transports publics.
Il semble que ces éléments aient été déterminants pour faciliter l’usage et la pratique du vélo par les femmes. Lors de notre étude, elles ont été nombreuses à exprimer leur satisfaction vis-à-vis des nouvelles infrastructures qui ont eu de multiples effets sécurisants : meilleure continuité des pistes, sécurisation des pistes par rapport au trafic automobile, passages améliorés des places et des carrefours, ralentissement des voitures et autres deux roues motorisés…
Autant d’éléments clefs encourageant la pratique du vélo par les femmes qui redoutent parfois de se lancer.
De fait, le risque fait partie de la construction normative masculine. Très tôt les jeunes garçons sont encouragés à oser, à prendre des risques, là où les filles sont plutôt sont incitées à être sages, à faire attention, à ne pas sortir n’importe où, n’importe comment, n’importe quand. Cette construction sociale a des effets délétères sur l’occupation de l’espace publics par les filles et les femmes.
La pratique du vélo en ville, et en particulier à Paris où la circulation automobile est importante, est souvent vécue par les femmes comme un défi qu’elles n’osent pas toujours relever. Grâce aux nouvelles infrastructures, elles ont exprimé leur satisfaction à pouvoir circuler à vélo plus facilement, dans un contexte plus sécurisé. Pour certaines, ça a été un déclencheur pour oser le vélo pour la première fois à Paris.
Le gain de confiance en soi est un élément clef dans la reconquête de l’espace public par les femmes. Et une fois passé le cap, elles reconnaissent toutes trouver à travers cette pratique une liberté de déplacement accrue, un sentiment de sécurité augmenté vis-à-vis du harcèlement de rue qu’elles sont nombreuses à subir « A vélo, on peut partir plus vite si des hommes nous harcèlent ! », la possibilité de rentrer tard le soir en toute indépendance « La nuit, je préfère sauter sur un vélo plutôt que d’attendre le bus ».
En parallèle des infrastructures, de nombreuses initiatives sont aussi à relever pour encourager les femmes à faire du vélo, apprentissage, ateliers réparations avec jours réservés aux femmes. On a vu des femmes de quartiers défavorisés se regrouper pour s’initier au vélo et découvrir de nouvelles potentialités de déplacement.
Autre effet intéressant de la période COVID et qui peut paraître contradictoire, les limitations de déplacements (posés à 1Km en France pendant les premiers confinements, et à 10km pendant le 3ème confinement) ont développé un besoin et un désir d’exploration de son territoire. Seul.e ou à plusieurs, les habitant.es, sont sorties de leurs trajets habituels afin de pouvoir rester dehors plus longtemps dans les limites autorisées. Une recherche de liberté malgré la contrainte s’est imposée comme vitale. Cette démarche a permis de s’interroger sur son territoire proche et ses ressources.
Dans le cadre des 10km, cela veut dire se rendre au bois ou en bord de canal plus facilement et plus régulièrement par exemple. Cette quête de liberté perdurera t’elle une fois la pandémie sous contrôle ? Nous l’espérons, car dans ce contexte nombre de femmes, non usagères de vélo, en ont découvert la pratique en mode loisir. Passée cette période d’apprentissage et d’exploration on peut imaginer qu’il n’y aura pas de retour en arrière.
Reste à s’assurer que l’offre de vélos en partage s’étende (et que les stations soient remplies), et que les infrastructures continuent à se développer pour offrir, comme au Danemark par exemple, des pistes suffisamment larges pour permettre la circulation de vélos cargos, et autre véhicules doux, et faire que cette pratique soit véritablement à l’usages de toutes et tous.
Chris Blache, anthropologue urbaine, a co-fondatrice de Genre et Ville en 2012 – un Think and Do Tank Innovation Urban-Gender – avec la designer urbaine et urbaniste Pascale Lapalud. Consultante en affaires et socio-ethno accomplie avec un succès avéré et une expertise dans les études de marché internationales et l’innovation commerciale, elle est activement impliquée dans les droits des femmes et des LGBTI depuis 2008. Coordinatrice de Genre et Ville, elle dirige l’organisation et les projets.
Pascale Lapalud, co-fondatrice Genre et Ville en 2012 – avec l’anthropologue urbaine Chris Blache. Diplômé en sciences politiques, géographie, géo-architecture et design urbain, avec une expertise avérée en design d’intérieur, design de mobilier, création de campagnes visuelles et d’expositions animées ou de performances interactives. Présidente de Genre et Ville, elle a codirigé sa propre agence de création et de conseil «design urbain / design d’intérieur» pendant 15 ans, avant de rejoindre.